L'Humanité des débats. Article paru le 29 septembre 2007
Le droit à un sport féminin ?
Rappel des faits
À l’heure de la Coupe du monde de rugby, où en sont exactement les pratiques féminines ? Pratiquement interdites de sport au début du siècle dernier, les femmes ont depuis conquis leur présence. Reste à faire admettre que, parfois, elles « inventent un nouveau sport », en font évoluer les disciplines et les stratégies, sans vouloir forcément copier les hommes… La semaine dernière, un débat s’est tenu au Forum mondial du sport, dont le chapiteau est dressé à quelques centaines de mètres du Stade de France, à l’initiative de la ville de Saint-Denis, en partenariat avec le conseil général de Seine-Saint-Denis et le magazine Des filles en Ovalie. Extraits.
Catherine Louveau
sociologue
(université Paris-XI)
« Si l’on prend l’ensemble des pratiques physiques et sportives dans la population, les femmes sont très nombreuses à pratiquer du loisir, de l’entretien physique, des pratiques d’esthétisation de la silhouette, de forme. Si on regarde cette fois du côté du sport institué, il n’y a plus qu’un tiers de femmes parmi les pratiquants. Pas mal, mais nettement sous-représentées… Parmi les sportifs de haut niveau, elles représenteront peut-être 50 % des athlètes à Pékin, mais pour l’heure, sur les listes des sportifs de haut niveau en France, elles ne sont qu’à peine un tiers. Et puis si on regarde de sport à sport, les femmes représentent 80 % des licenciées en gymnastique, mais seulement moins de 2 % en football. Il y a donc de très fortes disparités dans la présence des femmes dans le sport. Il y a une vingtaine d’années, le cycliste Laurent Fignon avait dit à propos de Jeannie Longo qu’il ne la "trouvait pas belle sur un vélo". Ce à quoi elle lui avait demandé, avec beaucoup d’humour, si avec un balai il la trouvait plus belle ? David Douillet a pu dire aussi que les femmes étaient plus à leur place dans une cuisine que sur un tatami. Fabien Galthié qui trouve que les femmes dans le rugby, c’est bien si elles restent des supportrices, pas des joueuses. On pourrait en trouver d’autres… Tout se passe comme si la place des femmes n’est pas dans les sports historiquement marqués de la tradition masculine, de la vie entre hommes. On admet d’autant mieux les femmes dans le sport qu’elles restent dans les normes dominantes de la féminité. Le sport féminin à la télévision, c’est trop souvent la gymnastique ou le patinage sur glace. Ce qu’on reproche au fond à Jeannie Longo, c’est de ne pas poser dans Play-Boy, des choses comme ça. Effectivement, ce n’était pas franchement son but : elle était dans une logique de performance. Les femmes ont aussi conquis leur place dans des métiers historiquement masculins. Finalement, on retrouve les questions qui avaient été posées par les mouvements de femmes dans les années soixante-dix, qui avaient identifié ces réflexes masculins de défense de territoire, au sens d’espace et de symbolique : « Qu’est-ce qui va nous rester en propre à nous, les hommes ? » J’ai l’air de dire des choses d’une grande évidence, le problème c’est que ces choses sont encore extrêmement opérationnelles, c’est-à-dire transmises aux adolescentes, aux petites filles. Il suffit de feuilleter un catalogue de jouets à Noël pour voir à quel point la culture commence ici par apprendre aux petites filles leur futur métier de maman, de femme, et aux petits garçons l’exploration de l’espace, les jouets mécaniques, tout ce qui bouge… On a peur en somme de cette image qui rôde, que la femme sportive se transmue en homme. Mais non ! C’est une autre forme de féminité. Ce sont des bonnes questions auxquelles il faut réfléchir. »